La tradition des "mais" Imprimer Envoyer
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Écrit par Chantal LEDUC   
Jeudi, 12 Novembre 2009 09:12

Nouvelle arrivée dans le village, j'entendais parfois les habitants parler avec grande animation des "mais" qui ne se faisaient plus, chacun évoquant avec entrain des souvenirs partagés.

Originaire d'une autre région (le Poitou), je ne comprenais pas. De quoi s'agissait-il ?

Voici ce qu'on m'a raconté sur cette très ancienne tradition, telle qu'elle se pratiquait au tout début des années 1980 (la façon de célébrer cette tradition a pu évoluer dans le temps).

Pose des mais

La pose des mais se passe dans la nuit du 30 avril au premier mai, mais demande quelques préparations.
Elle est organisée -en cachette- par les hommes du village, jeunes et moins jeunes mais obligatoirement célibataires. Il peut y avoir des regroupements entre villages.
5 ou 6 gars vont d'abord couper de petits arbres en forêt la veille. Pas n'importe quel arbre : du charme !
Ils choisissent des arbres de 3 à 4 mètres de haut.
Bien sûr, il a fallu se débrouiller pour s'équiper de serpe et de tronçonneuse, trouver de quoi transporter les arbres : camion, estafette, remorque, tracteur...
Les arbres sont secrètement stockés "quelque part" et sont transportés la nuit tombée à chaque maison du village où réside une fille non mariée.
Un arbre est "planté" devant la maison, attaché (avec de la ficelle ou du fil) à un poteau de portail ou à une gouttière.
La plupart du temps le mai était découvert le lendemain matin, mais il est arrivé qu'un père crie et engueule les jeunes depuis son balcon, alors que le mai n'était pas encore attaché et le gars qui tenait le mai se trouvait en dessous du balcon (sans que le père le voie).

Il était de tradition de poser également un mai devant la maison du maire et des conseillers (arrosage en perspective).
Planter un charme devant la maison d'une fille à marier n'est que le premier volet de la pose des mais.


Direction la place du village

La deuxième activité de la nuit est d'amasser le plus d'objets possible aux abords de n'importe quelles maisons, et les amener sur la place du village (si possible en silence pour ne pas se faire remarquer). La partie pouvait bien durer toute la nuit s'il y avait une bonne bande, et se terminer à 4 ou 5 heures du matin chez l'un ou l'autre avec une omelette et une paire de canettes.

Le lendemain matin, au réveil,les habitants ayant eu des objets dérobés venaient les récupérer sur la place.
Cela donnaient l'occasion d'échanges, par exemple une remarque moqueuse "T'as perdu quelque chose ?" alors que la personne, sans le savoir encore, avait également été "dérobée".

J'ai entendu certains dire certains qu'ils se levaient tôt pour ne pas qu'on voit ce qu'on leur avait pris.

Malgré la vigilance des habitants, les jeunes trouvaient toujours quelque chose à prendre. Plus l'objet dérobé était insolite, plus la rigolade était joyeuse.
Et ce sont ces actions qui ont le plus marqués les esprits et alimentent les histoires intarissables qu'on raconte encore.

Ce jour du premier mai, certains habitants venaient carrément avec une remorque pour récupérer leur bien.
En général, il n'y avait pas d'histoire (chacun reconnaissait son bien).

Les anciens qui avaient eu des choses dérobées faisaient remettre les objets en place par les jeunes et leur offraient un coup à boire.


 

La place un premier maiObjets dérobés

Il y aurait des pages entières à écrire ! Voici quelques exemples.
Bien que les habitants, coutumiers des faits, faisaient attention à ne pas laisser trainer des choses, certains étaient malgré tout victimes.
Pour les jeunes, tout ce qui trainait à proximité des maisons était "bon à prendre" (normalement, les jeunes ne devaient pas faire irruption chez les gens).
Des pots de fleur, des bancs, des chaises, des salons de jardin, des seaux, des outils,  des portails ou volets dégondés, des remorques, du matériel agricole et pourquoi pas une voiture (en la poussant) ? (voir photo ci-contre)
Si Une-telle avait étendu son linge la veille (grosse imprudence), c'est sûr elle allait retrouver la corde à linge avec slips et soutien-gorges pendus sur la place du village.
Un habitant avait une pancarte "Attention chien méchant" sur son portail, mais il a retrouvé la niche et le chien sur la place le lendemain matin. Méchant le chien ?


Arroser le mai

C'est bien beau d'avoir "planté" un arbre, mais il faut l'arroser.
La tradition permettait d'arroser le mai planté chez une jeune fille durant tout le mois de mai.
Déjà pendant la nuit du premier mai, un petit nombre, à la place de se laisser "piller" faisait rentrer les jeunes et leur offrait un coup à boire.
L'alcool aidant, la nuit était plutôt bruyante et la joyeuse bande de jeunes ne passait pas inaperçue. On raconte même que certains se sont retrouvés dans le fossé...

La plupart des filles qui avaient eu un mai organisaient une rencontre avec les jeunes gens auteurs des faits, pour arroser le mai (la plupart du temps chez les parents).
Cela donnait lieu à un goûter avec gâteaux, vin rosé, apéro... Après chaque arrosage, il y avait de "la viande saoule" !

Une fois arrosé, le mai était retiré.
Cependant, certains mais restaient sans être arrosés, mais cela était rare...
Chaque maison se faisait ainsi une "réputation" pour les jeunes gens : ceux qui arrosaient bien (voire même très bien) et ceux qui n'arrosaient pas.
Par exemple, Thérèse Tobiet a continué à avoir un mai devant sa maison plusieurs années après que sa fille soit partie.
Quand j'ai demandé pourquoi : "c'est parce que c'est une de celles qui arrosaient le mieux !" (à l'époque). Il faut dire aussi qu'elle mettait à disposition des jeunes un petit local où ils pouvaient se retrouver quand ils le souhaitaient.


Tradition perdue

Certains propriétaires rouspétaient mais la plupart respectaient "la coutume" et laissaient faire. Un certain nombre préféraient même inviter les jeunes à boire un coup au moment du passage de la bande, au lieu de se laisser "piller".

De nos jours dans la région, un matin de premier mai, il est fréquent d'entendre un ancien dire avec nostalgie  "On n'a rien entendu cette nuit, les traditions se perdent !". Et j'ai écouté les habitants parler...

 

Les raisons invoquées sont qu'il y a moins de jeunes. En tout cas, ils restent dans leur coin et ne participent plus à l'animation du village (les uns accusent la télévision, les autres internet).

On parle également des bals qui ne se font plus (ils permettaient aux jeunes de se réunir, de se connaître). Et plus on reste replié sur soi, moins on a envie de rire ensemble !

Certains expliquent encore cela par le fait que "c'était du travail d'aller couper les arbres" et que maintenant les jeunes ne veulent plus "se donner la peine".

 

D'autres raisons mentionnent les abus commis par certains jeunes, en particulier au niveau des objets dérobés : irruption chez les gens, absence de respect...Beaucoup disent "ça dégénérait", par exemple au lieu d'aller regrouper les objets volés sur la place du village, certains jeunes les mettaient n'importe où (ou les gardaient chez eux, c'est à dire qu'ils volaient). Il y avait de la casse également, des dégâts.

"Ca dégénérait", c'est vraiment l'argument qu'on entend le plus souvent.

Mais peut-être aussi les abus vis à vis de l'alcool, depuis une prise de conscience des effets néfastes de la consommation exagérée d'alcool ? On craint les contrôles de la gendarmerie (il faut bien se déplacer d'une maison à l'autre) ?

 

Les mentalités évoluent vers un plus grand individualisme et on n'admet plus qu'on touche à notre bien. 

 



Extrait de "Zélie dans le désert" (roman écrit en 1943) de Marcel ARLAND (né en 1899 en Haute-Marne) :

... tout était prêt, le cheval attelé, et sur le chariot reposait le mai, un jeune peuplier dont les branches s'appuyaient à des bottes de paille. C'était le premier jour du mois, le jour où, chaque année, les conscrits vont planter un arbre devant la maison des filles de leur âge. On le dresse pendant la nuit; et le matin, les garçons reviennent pour donner une aubade : la porte s'entrouvre, la fille écoute, puis l'on s'embrasse et l'on va s'asseoir autour de la table où trône, entre la cafetière et le carafon d'eau de vie, un gâteau pétri des mains même de celle que l'on fête...
... On ne plante le mai qu'une fois dans sa vie !
Nous allions planter le mai. C'était un dimanche, le dimanche qui suit Pâques; et le lendemain, venus des onze villages du canton,
les conscrits devaient passer la Révision dans notre mairie. Deux jours de fête, d'une fête tapageuse...

 


Pierrette avait deux "mais"

 

Pierrette Belleuvre  m'a raconté que comme elle était originaire de Mesnil Saint Père, et qu'elle travaillait chez Mme Cot à Montiéramey, quand elle était jeune fille elle avait un mai à chaque maison (c'était entre 1934 et 1940 environ).

Elle précise que les garçons déposaient, en plus du mai, un bouquet de lilas devant la maison de leur "fiancée" (le lilas est la seule fleur disponible à cette époque). Elle a eu un bouquet de lilas une fois.

Elle dit que les jeunes filles étaient flattées d'avoir un mai. Les jeunes filles commençaient à avoir un mai dès qu'elles arrêtaient l'école (vers 14-15 ans, voire 13 ans).

 

Au début que Pierrette a commencé à être honorée d'un mai, les jeunes filles recevaient les garçons chez elles pour arroser le mai, et par la suite (un peu avant la guerre et pendant la guerre), les jeunes filles se regroupaient pour arroser leur mai  : elles fixaient une date pour organiser un bal "au Plancher".

L'invitation était transmise aux jeunes gens.

 

Comme son mari était maire du village (pendant 47 ans), elle a eu un mai devant sa maison pendant très longtemps ! En effet les jeunes hommes déposaient un mai devant la maison du maire et devant la maison des conseillers dans l'espoir de se faire inviter pour boire un coup (c'est à dire arroser le mai).

 


 Arrosage des mais (1959)

Mai 1959 : arrosage

Sur la photo ci-dessus (fournie par Marie-Agnès Clausier), on voit un groupe de jeunes gens lors de l'arrosage des mais. La photo a été prise devant le bâtiment de la gare : en effet les deux filles du chef de gare (Renée et Maryse Ragon) arrosaient leur mai.

On y voit, de gauche à droite en commençant par le fond :

Marie-France Petit, Yves Sbrovazzo, Renée Ragon, Monique Koel, Anne-Marie Petit, Micheline (?) Odiot, Christine Koel, Marie-Claude Petit

Marie-Agnès Petit (qui avait suivi ses grandes soeurs), Maryse Ragon, Jean-Claude Lebon, Jacky Kesler

 


La table en béton de madame Tobiet

 

Rien n'arrêtait les jeunes poseurs de mais !

Thérèse Tobiet m'a raconté qu'une nuit de pose des mais, un groupe de jeunes (qu'elle connaissait bien) s'était introduit dans sa cour et essayait de déplacer une lourde table en béton. Elle les observait depuis un carreaux de sa fenêtre. Ils se donnaient un mal fou car la table était trop lourde pour être déplacée. Elle les regardait faire en rigolant. Au bout d'un long moment, la table n'avait pas beaucoup bougé. Ils n'ont pas réussi à emmener la table !

Elle a fini par sortir en leur demandant de remettre la table à sa place puis de rentrer boire un coup.

Quand on écoute les auteurs de ces faits, ils disent "la nuit a fait du mal". Et oui, 11 bouteilles de rosé de Provence plus quelques litres de vin blanc ou autre, généreusement offerts par Madame Tobiet, ça n'arrange pas.

 


 Reprise des mais

 

Bruno Lebon m'a raconté que c'est lui avec son cousin, sur les conseils d'un ancien, qui a remis les mais au goût du jour à Montiéramey, au tout début des années 1980. Au commencement ils étaient peu nombreux, mais les années suivantes, ils étaient une bonne équipe (jusqu'à une quinzaine).

Quand ils ont arrêté (une fois mariés), la pose des mais a encore duré quelques années... pour s'éteindre de nouveau.

 

Il reconnaît lui-même "Qu'est-ce qu'on a fait comme conneries !" .

Il parle des arbres qui dépassaient de l'estafette (trop petite pour les contenir) et trainaient par terre lors de leur déplacement, dans un convoi insolite.

Il m'a expliqué l'histoire de "la niche et le chien" (amenés sur la place du village) : le chien était réellement méchant et tout le monde s'en méfiait. Seulement, un des jeunes avait entrepris de "dompter" la bête en lui offrant des friandises de longs mois en avance. Ils ont donc pu l'emmener sur la place sans se faire mordre et sans aboiements.

Une autre histoire qui a marqué son esprit, c'est quand les jeunes avaient entrepris de déplacer une caravane qui se trouvait dans une cour. Or, cette nuit là les propriétaires avaient des amis qui dormaient dans la caravane ! Bien sûr les dormeurs ont été réveillés et la caravane a été laissée sur place.

Il se souvient aussi une fois, être allé avec un autre, à pied jusqu'à Montreuil où résidait une fille qu'il convoitait. Ils ont transporté un arbre jusqu'à la maison de la jeune fille qui avait déjà un mai posé par les jeunes de Montreuil. Elle a donc eu deux mais devant sa maison cette année là.

Il raconte aussi que le grand-père Lebon se faisait toujours prendre son banc placé sur le trottoir devant sa maison (même une fois que le banc a été boulonné au sol, les jeunes le déboulonnaient). Le grand-père se levait très tôt pour ne pas qu'on voit qu'il s'était fait piquer son banc, le ramenait à sa place, s'asseyait dessus et se moquait des gens qui défilaient récupérer leur bien (le banc était placé de telle sorte qu'il dominait la place du village).

 


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Mis à jour le Lundi, 26 Avril 2010 10:42
 
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